Une publication dans le New England Journal of Medicine

Une nouvelle formule pour un dépistage plus efficace de l’insuffisance rénale chez les patients européens



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Illustration : Shutterstock

Un consortium européen de chercheurs propose l’utilisation d’une nouvelle formule basée sur le dosage de la cystatine C (CysC) pour la détection et la prise en charge de patients souffrant d’insuffisance rénale. Peu influencée par le sexe, la masse musculaire, l’origine ethnique, l’âge ou le régime alimentaire, cette nouvelle formule développée en partie par Pierre Delanaye et Etienne Cavalier, chercheurs à l’Université de Liège et au CHU de Liège, permet d’obtenir de meilleurs résultats que la formule qui recourt à la créatinine. Cette étude fait l’objet d’une publication dans le New England Journal of Medicine.

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n estime de 5 à 10%, la part de la population mondiale souffrant d’insuffisance rénale, une pathologie qui reste le plus souvent asymptomatique jusqu’à un stade avancé. Son dépistage revêt donc une importance capitale. Depuis de nombreuses années les chercheurs utilisent la créatinine – un déchet de l’organisme qui provient de la dégradation de la créatine musculaire - comme biomarqueur pour dépister l’insuffisance rénale. Plus le taux de créatinine est important, plus le patient est suspecté de souffrir de la maladie. Grace à la concentration sérique de créatinine les laboratoires peuvent automatiquement calculer le débit de filtration glomérulaire (DFG), qui est le reflet de la fonction rénale*. La créatinine est cependant loin d’être un marqueur parfait et sa concentration varie physiologiquement notamment selon l’âge, le sexe et l’ethnie des patients. Ainsi, les formules qui permettent de calculer le DFG doivent tenir compte de ces paramètres pour fournir une estimation la plus correcte possible.

« Afin d’estimer le DFG chez les adultes, la plupart des laboratoires de biologie clinique dans le monde utilisent la formule appelée « CKD-EPI », explique le Pr Pierre Delanaye, néphrologue au Département des Sciences cliniques de l’ULiège et du CHU de Liège . Une formule qui a été publiée en 2009 par un consortium de scientifiques américains et recommandée par les recommandations internationales de la néphrologie (KDIGO). Cette formule tient compte de la créatinine, de l’âge et du sexe du patient mais doit être corrigée par un facteur « ethnique » pour les patients Afro-américains. » En effet, ces patients présentent, pour des raisons qui restent encore inconnues, une concentration en créatinine plus élevée pour le même DFG par rapport à leurs homologues américains d’origine européenne. « Ce facteur, qui est loin d’être négligeable (on parle d’une correction de près de 16%), pose un réel problème pour les Africains d’Afrique et les Afro-européens qui ne présentent pas le même morphotype que les Afro-américains et nous avons déjà démontré qu’il ne fallait pas l’utiliser en-dehors des Etats-Unis. Pour les africains d’Afrique, cela pose un véritable problème de santé publique car le coût de la prise en charge médicale de l’insuffisance rénale est énorme et la prévention est d’une importance capitale. En retardant cette prise en charge, l’application de ce facteur erroné a pu avoir un impact significatif sur la santé de ces patients. »

Un autre souci est apparu avec l’équation CKD-EPI, elle était en moyenne plus exacte chez les Américains d’origine européenne que chez les Américains d’origine africaine, ce qui a été considéré comme étant une discrimination inacceptable, par exemple, retardant la mise sur liste de receveurs d’organes des afro-américains par rapport aux européano-américains. Face à ce problème, la décision a été prise par les sociétés scientifiques américaines de remplacer l’équation de 2009 par une  nouvelle équation CKD-EPI publiée en 2021 (« race free » dans le texte) qui ne tient plus compte de l’origine ethnique du patient. Une décision qui est bien entendu avant tout politique et non scientifique. En effet, et pour la première fois dans l’histoire des formules, cette nouvelle formule performe moins bien que les précédentes. En réalité, elle est moins précise chez les européano-américains et elle est toujours aussi imprécise chez les afro-américains, mais elle est imprécise de manière « égale » pour les deux communautés. Pourtant, en l’espace de quelques jours, cette formule a été proposée et adoptée par les sociétés scientifiques de néphrologie et de médecine de laboratoire américaines.

L’Europe ouvre la voie à la cystatine 

En Europe, le consortium EKFC - European Kidney Function Consortium - composé de spécialistes de la fonction rénale, propose une équation d’estimation du DFG qui présente une approche différente de celle des Américains. Dans cette approche, la créatinine du patient est « normalisée » en la divisant par la créatinine médiane du groupe d’âge et de sexe auquel appartient le patient. Cette formule, publiée dans le journal Annals of International Medicine en 2021, a l’avantage de pouvoir s’appliquer aux enfants à partir de deux ans, ce qui n’est pas le cas des formules américaines, exclusivement applicables à l’adulte.  Les spécialistes du consortium EKFC ont montré que cette formule européenne (qui avait été développée et validée sur des cohortes européennes) avait une meilleure performance que la formule « race-free », chez les européens, mais aussi chez les africains. Pour ces experts, il est nécessaire de  privilégier en Europe et en Afrique la formule EKFC pour la prise en charge des patients.

Mais même si cette formule « fait mieux » que son équivalent américain, il n’en reste pas moins qu’elle reste impactée par les défauts de la créatinine sérique. « Par exemple, au CHU de Liège, on va « normaliser » par rapport à la créatinine sérique des milliers de Liégeois chez qui la créatinine a été dosée au laboratoire, explique le Pr Etienne Cavalier, Pharmacien-Biologiste, spécialiste en chimie clinique  au Centre Interdisciplinaire de la Recherche sur le Médicament (CIRM) de la Faculté de Médecine de l’ULiège et Chef du service de Chimie clinique au CHU de Liège. Mais les Liégeois d’origine africaine ont potentiellement une concentration en créatinine sérique plus élevée . L’idéal serait donc un nouveau biomarqueur qui serait indépendant de l’âge, du sexe et de l’origine ethnique du patient et qui reflèterait le DFG. Ce biomarqueur présenterait également un intérêt certain chez les personnes qui ont changé de genre ou qui ne désirent pas le déclarer».  Et la bonne nouvelle, c’est que ce marqueur existe ! Il s’agit de la cystatine C (CysC), un marqueur qui aurait même un intérêt supplémentaire comme facteur prédictif de risque de mortalité, en particulier cardiovasculaire. Le consortium EKFC a donc élaboré une formule basée sur la CysC. Cette recherche vient de faire l’objet d’une publication dans la prestigieuse revue New England Journal of Medicine. « Cette formule a un petit accent liégeois, reprend Pierre Delanaye. En effet, le Professeur Hans Pottel, qui est le premier auteur de l’article et   Professeur de biostatistique à KU Leuven, est également Professeur invité à l’Université de Liège. » L’originalité de cette publication doit beaucoup à la présence de données africaines. En effet, le DFG  a été mesuré  par clairance de l’iohexol chez des sujets et patients en République Démocratique du Congo et en Côte d’Ivoire. Pour des raisons techniques, ces dosages n’ont pu se réaliser en Afrique mais l’ont été dans le laboratoire de chimie clinique du Professeur Cavalier via la méthode qu’il avait publiée avec le Professeur Delanaye en 2008, marquant un tournant important de la collaboration entre les services de néphrologie et de chimie clinique. Enfin, les Drs Justine Bukabau (Kinshasa) qui a été partiellement formée à l’Université de Liège et le Dr Eric Yayo (Abidjan) qui a réalisé sa thèse de doctorat dans le service du Professeur Cavalier à l’Université de Liège, cosignent également cet article, montrant là un exemple parfait de collaboration entre l’ULiège et l’Afrique. Les deux formules EKFC vont dès lors être utilisées au quotidien dans le laboratoire de chimie clinique du CHU de Liège.

Référence scientifique

Hans Pottel & al., Cystatin C–Based Equation to Estimate GFR without the Inclusion of Race and Sex, January 26, 2023, N Engl J Med 2023; 388:333-343,  DOI: 10.1056/NEJMoa2203769

Contacts

Pierre Delanaye

Etienne Cavalier

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